Éric Lombard, directeur général de la Caisse des dépôts, s’intéresse, à travers un groupe de réflexion créé par Bayard, éditeur de Notre Temps, à la place des seniors dans la société. Et veut en finir avec le discours qui les présente parfois comme une charge.
Notre Temps : Pourquoi la Caisse des dépôts, institution financière publique, s’engage-t-elle dans le groupe de réflexion autour des seniors lancé aujourd’hui par le groupe Bayard, éditeur de Notre Temps ?
Éric Lombard : Le mandat de la Caisse des dépôts est de lutter contre les inégalités. Donc nous nous intéressons d’abord aux territoires et aux populations qui subissent des inégalités ou des difficultés particulières. La population des seniors est très diverse et la Caisse des dépôts a des compétences et participe à des projets qui permettent de résoudre certains de leurs problèmes. Avec notre rapprochement avec La Poste, nous pouvons encore mieux traiter certains de leurs besoins comme le maintien des personnes très âgées à domicile, par exemple. La Caisse des dépôts est également très impliquée au niveau des Ehpad pour lesquels nous intervenons, soit comme investisseur immobilier, soit en accompagnement des réseaux, souvent associatifs, qui gèrent ces établissements.
Enfin, en matière de formation, nous lançons au mois de novembre « Mon compte formation » : une application sur
smartphone qui permet à tous, et notamment aux seniors, d’avoir accès à la formation de son choix. Les seniors doivent, aussi longtemps que possible, et s’ils le souhaitent, conserver une activité.
Justement, à propos d’activité, parmi les héros de Notre Temps distingués par notre magazine, quels sont ceux qui vous ont particulièrement touché ?
EL : C’est difficile de vous répondre sans voir les personnes ! Mais je suis particulièrement sensible aux initiatives en lien avec la transmission : les métiers manuels, la voile sur des vieux gréements (lire pages précédentes). J’ai toujours mis en place, dans les entreprises où j’étais, des démarches et des dispositifs qui favorisent la transmission des savoirs et des expériences. Ce n’est pas sur Wikipédia qu’on apprend tout ce que les anciens peuvent transmettre ! Ces sujets-là ne peuvent que passer par le contact… Et cela débouche sur des relations humaines très positives.
Comment changer le regard de la société qui perçoit, parfois de manière péjorative, les retraités comme des « inactifs » ?
EL : Les seniors sont des contributeurs à la vie sociale tout aussi engagés que les autres. Ils sont très précieux et il faut sortir de ce discours faux qui les présente comme une charge, ce qu’ils ne sont absolument pas. Le droit à la retraite ne signifie pas la fin de l’utilité sociale des personnes. D’ailleurs dans la vie politique, la question ne se pose pas. Des seniors se représentent et ils sont réélus parce qu’ils sont jugés compétents, expérimentés. Ils courent un peu moins vite au cent mètres, c’est tout !
A votre poste, on vous imagine dans une tour d’ivoire… Pourtant, en lançant la Banque des territoires, vous avez beaucoup parcouru la France ces derniers mois. Aviez-vous vu venir la crise des Gilets jaunes ?
EL : A la direction de la Caisse des dépôts, il est indispensable de bien connaître la France ! L’année dernière, j’ai visité près de 70 villes, et je continue… Au cœur de mon projet, il y a le rééquilibrage des territoires. En fait, notre système économique produit des inégalités inacceptables entre les personnes, mais aussi entre les territoires. La Banque des territoires a été lancée en mai 2018, donc avant le mouvement des Gilets jaunes, et je pense que si on avait commencé deux ou trois ans plus tôt, on l’aurait peut-être évité.
De là à vous dire que j’ai vu venir cette crise… Vous ne me croiriez pas, et vous auriez raison. En revanche, nous avions vu venir la crise liée au déséquilibre des territoires.
À l’origine des Gilets jaunes, il y a des revendications de pouvoir d’achat, mais aussi la dénonciation de la disparition des services publics et de l’étiolement du tissu social. Quelle est l’action de la Caisse des dépôts dans ce domaine ?
EL : C’est le cœur de l’action de la Banque des territoires. En termes d’accès aux services publics, nous soutenons les Maisons France Services dont le déploiement débute. L’objectif est qu’il y en ait 2 000 à la fin du quinquennat. Il s’agit de lieux où les personnes pourront se renseigner et effectuer des démarches dans le domaine de l’emploi, la formation, l’état civil, les impôts, les allocations, la retraite, l’Assurance maladie… Ces maisons seront implantées dans les bureaux de poste, les centres sociaux, les bibliothèques, les mairies… Il s’agit de rapprocher les services publics de proximité pour que le sentiment d’abandon qui a pu exister soit traité par une action pratique et concrète.
Comment éviter la fracture entre les métropoles et le reste du pays ?
EL : Le gouvernement a lancé deux plans que la Banque des territoires accompagne : le plan Action Cœur de ville a démarré début 2018. Il concerne 25 % des Français qui habitent dans des villes moyennes. L’idée est de faire revenir les commerces, de changer la vie quotidienne des habitants. Les conventions ont été signées avec les 222 villes concernées. Dans les zones rurales, le plan Petites Villes de demain a été lancé le 20 septembre 2019.
ll va concerner un millier de villes de moins de 20 000 habitants et va avoir un impact fort sur leur quotidien. Ces villes, qui ont une fonction de centralité, sont essentielles à l’équilibre des zones rurales.