Le désir de vieillir à domicile est partagé par une majorité écrasante des Français. Selon une étude récente de l’Ifop, 94 % souhaitent finir leur vie chez eux, un choix associé au bien-être pour 92 % des sondés.
Ce choix du domicile ne se limite pas à un confort matériel ou à un rejet des EHPAD. Il peut s’expliquer par plusieurs facteurs : l’attachement à son logement, symbole de souvenirs et de stabilité, le maintien des liens sociaux et d’une indépendance quotidienne, même fragile.
Aujourd’hui, près de 90 % des plus de 75 ans vivent à domicile (DREES, 2023). Ce phénomène n’est pas près de s’estomper : les trois quarts des plus de 75 ans sont propriétaires de leur logement et la France connaîtra d’ici 2030 une augmentation exponentielle de la population âgée de 75 à 84 ans, puis des 85 ans et plus.
Avec le vieillissement démographique, les besoins en matière d’accompagnement et d’adaptation des logements explosent. Une question centrale se pose : sommes-nous en capacité de financer collectivement notre désir de finir nos vies à domicile ?
Vieillir chez soi, combien ça coûte ?
Rester à domicile implique de nombreux ajustements pour que le logement et la vie quotidienne restent adaptés à l’âge. Pourtant, seuls 7 % des moins de 80 ans et 21 % des 80 ans et plus ont réalisé au moins un aménagement pour adapter leur logement (DREES, 2020).
En 2024, le coût moyen du maintien à domicile pour une personne de plus de 65 ans atteint 1 260 euros par mois, selon le dernier baromètre Silver Alliance – Retraite.com, un chiffre en hausse de 3,65 % par rapport à 2023.
Ce coût peut être séquencé par tranches d’âge :
- Entre 65 et 75 ans : environ 704 €/mois.
- Entre 75 et 85 ans : 912 €/mois.
- Après 85 ans : 2 165 €/mois.
Au-delà de 85 ans, ces dépenses dépassent souvent le coût moyen d’un Ehpad, estimé à 2 310 euros mensuels.
Quels dispositifs financiers pour faciliter le maintien à domicile ?
Des dispositifs existent pour soutenir cette transition. L’Allocation personnalisée d’autonomie (APA) destinée aux plus de 60 ans peut financer partiellement les dépenses liées au maintien à domicile. Les aides de l’Agence Nationale de l’Habitat (ANAH) propose plusieurs subventions pour adapter les logements. La prise en charge peut aller jusqu’à 50 % des travaux, avec un plafond de 10 000 €. Dernièrement, MaPrimeAdapt’, lancée en 2024, permet de financer les aménagements nécessaires au domicile des personnes âgées ou des personnes en situation de handicap. Le montant de l’aide dépend des revenus du ménage. La liste complète de ces dispositifs et les informations reliées sont disponibles ici.
Cependant, ces mesures restent peu utilisées. Malgré une lucidité sur leur futur état de dépendance, 65 % des Français reconnaissent ne pas anticiper les impacts du vieillissement selon le Baromètre Landoy de la France qui vieillit. Les chiffres montrent une préparation insuffisante :
- 80 % n’ont pris aucune disposition financière ou patrimoniale ;
- 60 % n’ont pas envisagé d’adapter leur logement.
Ce manque de préparation peut s’expliquer par une forme d’attentisme ou une méconnaissance des dispositifs existants, jugés peu accessibles et insuffisamment préventifs. Or, anticiper est primordial. Comme l’a rappelé Mickaël Briquet, Directeur Général de Senioralis et ergothérapeute, lors d’un webinaire organisé par Notre Temps (Bayard) et Générali : « Nous devons tous nous demander : quel est notre projet de vie ? Mon logement n’est-il pas trop grand ? Serais-je encore capable d’entretenir mon jardin à la retraite ? A 90 ans, c’est illusoire de proposer à une personne de déménager. Souvent cette demande de déménagement correspond à un placement en institution. Ne pas anticiper c’est souvent prendre le risque que nous arrivions trop tard. »
La cinquième branche, à la rescousse de la dépendance ?
La dépendance représente déjà un coût d’environ 30 milliards d’euros par an, largement supporté par l’État. Face à ces enjeux, un pas important a été franchi avec la création de la cinquième branche de la Sécurité sociale, consacrée à l’autonomie. Mise en place par la loi du 7 août 2020, cette branche vise à répondre spécifiquement aux besoins des personnes dépendantes, qu’elles soient âgées ou en situation de handicap.
Pilotée par la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA), cette nouvelle branche souffre toutefois d’un flou persistant et dommageable autour de son financement pour répondre à des besoins croissants et garantir une prise en charge équitable. Compte tenu des montants considérables en jeu, voilà plusieurs années que les gouvernements successifs butent sur les sources de financement : faut-il faire appel à la solidarité nationale, – au risque d’asphyxier les actifs – ou aux solutions assurantielles et patrimoniales – au risque de léser les moins aisés ?
Un secteur du soin sous tension
Si vieillir chez soi est une aspiration personnelle, elle dépend aussi de l’intervention de tiers : aidants familiaux et professionnels. Les projections dressent un tableau contrasté. D’une part, une étude de la Drees montre que dans le meilleur des cas, où l’espérance de vie augmente sans que l’autonomie des individus ne diminue, jusqu’à 6,5 millions de seniors pourraient continuer à vivre chez eux. Mais dans un scénario plus pessimiste, où le vieillissement s’accompagne d’une perte accrue d’autonomie, 250 000 personnes supplémentaires devront être accueillies en établissement spécialisé d’ici 2030, exigeant une augmentation de près de 70 % des places disponibles en EHPAD. Or, le secteur des soins est actuellement confronté à de nombreux défis, exacerbés par le vieillissement de la population. La demande croît, tandis que le nombre de professionnels disponibles diminue. Un rapport de la commission des affaires sociales du Sénat avait démontré qu’en 2022 la France comptait 2 125 structures de soins infirmiers à domicile, capables de s’occuper de 126 600 bénéficiaires potentiels. En d’autres termes, on compte 20 places pour 1 000 personnes de 75 ans et plus, contre 102 en EHPAD.
Le maintien à domicile est un désir légitime et profondément ancré dans la culture française. Pourtant, sa concrétisation soulève des enjeux financiers, logistiques et humains considérables. Des modèles hybrides comme les résidences autonomie émergent comme des solutions intermédiaires. L’IGAS appelle à la création de 100 000 résidences autonomie d’ici 2030. Vieillir chez soi reste un défi collectif : il implique une transformation profonde de la société, des infrastructures et des modèles de financement. Si cette aspiration est compréhensible, il nous reste à répondre à une question clé : comment équilibrer nos aspirations avec notre capacité collective à les financer ?