En France, près de 11 millions de personnes soutiennent quotidiennement un proche en perte d’autonomie. Ce rôle, souvent invisible et invisibilisé, s’avère épuisant : un tiers des aidants sont contraints de réduire leur activité professionnelle, et beaucoup souffrent d’un impact sur leur santé physique et mentale. Alors que les politiques publiques tâtonnent, l’essor des nouvelles technologies offre des solutions nouvelles.
Que peuvent réellement apporter ces innovations ? Voici les trois pistes que nous avons identifiées.
Chatbots : des compagnons virtuels pour les aidants et les patients ?
Les chatbots sont déjà présents dans certains établissements ou à domicile. Ces logiciels conçus pour interagir de manière textuelle ou vocale avec l’utilisateur rappellent les rendez-vous médicaux, proposent des exercices cognitifs et initient des conversations pour briser l’isolement des patients.
Conçus comme des assistants virtuels, ils remplissent plusieurs fonctions :
- Rappel des tâches quotidiennes : les chatbots comme Pillo Health peuvent rappeler aux patients de prendre leurs médicaments à heure fixe, réduisant ainsi les oublis et évitant des complications médicales.
- Exercices cognitifs personnalisés : certains outils proposent des activités interactives pour stimuler la mémoire des personnes atteintes de troubles cognitifs légers, retardant la progression de maladies telles que la Maladie d’Alzheimer.
- Soutien contre l’isolement : dans des pays comme le Japon, des programmes d’IA conversationnelle offrent des discussions amicales aux personnes âgées vivant seules, les aidant à se sentir moins isolées.
Les chatbots offrent ainsi une assistance de premier niveau et permettent de libérer du temps pour des soins plus complexes et humains.
Capteurs Intelligents : comment prévenir les risques au quotidien ?
Les capteurs connectés, associés à l’IA, se développent comme outils de surveillance bienveillante des personnes âgées. Par exemple, les dispositifs de CarePredict analysent les comportements quotidiens : une diminution des déplacements ou des interactions sociales peut alerter un aidant sur des risques comme une chute ou une détérioration psychologique. Ces technologies offrent une vigilance continue sans nécessiter une présence constante, apportant un soutien logistique aux aidants.
Cependant, ces dispositifs ne sont pas sans limites : leur efficacité dépend de la capacité des aidants à interpréter correctement les données fournies, et leur déploiement soulève des questions éthiques. Peut-on concilier assistance technologique et respect de la vie privée ? Doit-on tolérer une surveillance continue au nom de la santé ?
Un pas de plus : les robots de surveillance
En France, l’entreprise Enchanted Tools, lauréate de la French Tech 2030, a développé deux robots interactifs : Miroki et Miroka. L’objectif ? Déployer ces robots humanoïdes dans des maisons de retraite et hôpitaux pour assister le personnel soignant tout en créant des interactions ludiques avec les résidents.
Ces robots combinent plusieurs fonctionnalités :
- Surveillance des risques grâce à des capteurs avancés, détectant par exemple des chutes ou des comportements inhabituels ;
- Aide aux tâches répétitives, permettant aux soignants de se concentrer sur des soins plus complexes ;
- Interactivité sociale, contribuant à réduire l’isolement des patients par des interactions engageantes.
Quelles réponses réelles aux défis de la dépendance ?
Malgré leur potentiel, ces innovations restent des outils complémentaires, et non des substituts aux soins humains. Si les robots peuvent libérer du temps et alléger le travail des soignants, leur intégration pose plusieurs défis.
Au Japon, une stratégie lancée en 2017 avait pour objectif d’équiper les établissements de santé de robots afin de répondre au vieillissement rapide de la population. L’initiative visait à alléger la charge physique des soignants et à améliorer le confort des patients. Deux ans plus tard, une enquête du MIT portant sur plus de 9 000 établissements de soins montrait que seuls 10 % déclaraient avoir introduit un robot de soins. Parmi ceux ne les ayant pas adoptés, plusieurs obstacles étaient évoqués : coûts d’acquisition trop élevés, préoccupations quant à leur fiabilité et manque d’informations sur les types et modèles de robots disponibles. Une seconde étude réalisée en 2021 révélait que sur un échantillon de 444 personnes fournissant des soins à domicile, seules 2 % avaient eu l’occasion d’utiliser un robot de soins. Autre point : certaines données suggèrent que, lorsqu’ils sont acquis, les robots sont souvent utilisés pendant une courte période avant d’être relégués au fond d’un placard.
En résumé, ces technologies offrent une opportunité de réinventer le secteur du soin, particulièrement dans un contexte de vieillissement démographique et de pénurie de soignants. L’introduction de l’IA dans ce secteur suscite toutefois des interrogations concernant l’avenir de ce dernier, notamment en ce qui concerne la préservation des interactions humaines, essentielles à un accompagnement de qualité.
L’idéal serait donc que l’IA et les autres technologies émergentes permettent de réorienter le capital humain vers des tâches à plus forte valeur ajoutée, tout en garantissant une prise en charge plus humaine et personnalisée. Mais pour réaliser ce potentiel, un investissement dans la formation des soignants est essentiel. Il est en effet impératif que ces derniers puissent non seulement maîtriser ces outils, mais aussi les intégrer de manière fluide et éthique dans leurs pratiques quotidiennes.
Comme l’a souligné la chercheuse et professeure Laurence Devillers lors de la Journée-débat du Club Landoy Aidons les Aidant·e·s (octobre 2024), l’IA doit être perçue comme un outil complémentaire et non comme une menace pour les métiers du soin. Il est cependant de notre devoir collectif de trouver le juste milieu :
« La science est là pour nous aider à mieux comprendre ces enjeux, pour parler d’éthique et d’innovation. Il faut qu’on innove en Europe avec une troisième voie, qui ne soit ni celle de la surveillance et de l’hypersurveillance, ni celle de l’innovation à tout prix pourvu que ce soit rentable. Il faut construire une voie qui consiste à créer des objets utiles, dotés de capacités différentes des nôtres, et qui viennent compléter nos actions. Cela implique une réelle solidarité. »