En 2025, la France est le pays européen comptant le plus de centenaires. Depuis les années 1960, leur effectif a été multiplié par trente. Aujourd’hui, le pays compte plus de 30 000 personnes âgées de 100 ans et plus, un chiffre amené à croître dans les décennies à venir. D’après les projections de l’Insee, ils pourraient être entre 100 000 et 600 000 d’ici 2070.
Le vieillissement ne signifie plus le déclin physique, rapide et inéluctable d’antan. Vieillir aujourd’hui, c’est bénéficier d’un temps de vie prolongé, en meilleure santé et entrer dans une période où l’on peut encore générer des revenus, créer des opportunités et participer activement à l’économie.
Vivre vieux, et mieux
Atteindre un âge avancé est désormais une réalité accessible, à condition que ces années supplémentaires soient vécues dans de bonnes conditions. En France, c’est largement le cas : depuis 2008, l’espérance de vie sans incapacité a progressé d’un an et onze mois pour les femmes, et d’un an et dix mois pour les hommes, faisant du pays un modèle au sein de l’Union européenne. Dans l’Hexagone, la probabilité d’atteindre 100 ans est deux fois plus élevée qu’en Suède, au Royaume-Uni ou aux Pays-Bas (INED). L’espérance de vie en bonne santé est désormais de 77 ans pour les femmes et 75,5 ans pour les hommes en 2024.
Cette longévité exceptionnelle repose sur plusieurs facteurs : un système de santé relativement efficace (et largement gratuit), un climat tempéré favorable et des habitudes de vie relativement saines. En comparaison avec certains de ses voisins européens, la France enregistre des chiffres d’obésité parmi les plus bas, avec 47 % de la population en situation de surpoids, contre 53 % ailleurs en Europe.
Les femmes, elles, sont les grandes gagnantes de cette longévité : elles représentent 86 % des centenaires. Au lieu de parler de papy-boom il serait plus juste de parler de mamie-boom.
Vivre vieux, mais aussi bien : l’essor des « seenagers »
La France voit émerger une nouvelle génération de seniors, plus libres, plus actifs, plus aisés et moins enclins à se conformer à l’image vieillissante traditionnelle. Surnommés les « seenagers » – une contraction de « senior » et « teenager » – ils incarnent une jeunesse prolongée. Libérés du travail et de l’éducation des enfants, ils profitent d’une grande indépendance et investissent massivement dans leur bien-être, leurs loisirs et leurs passions. Une étude menée par la société Xerfi en 2023 a estimé que les dépenses des plus de 60 ans dans le secteur du tourisme, des loisirs et du bien-être ont augmenté de 25 % ces cinq dernières années. En 2024, cette même tranche d’âge dépense en moyenne 8 000 euros par an en loisirs, voyage et loisirs actifs, soit une hausse de 15 % par rapport à la décennie précédente Cette tendance devrait se poursuivre, portée par l’augmentation du nombre de seniors dans la population : d’ici 2050, près de 40 % des Français auront plus de 60 ans (INSEE).
Une question de justice intergénérationnelle
Cette longévité inédite à la retraite et ce confort croissant pour les seniors s’accompagnent de questions économiques et sociales. Tandis que les retraités bénéficient d’une existence prolongée et souvent épanouie, la jeunesse se voit confrontée à des incertitudes croissantes : précarité de l’emploi, salaires stagnants , crise du logement, cotisations record, dette publique gonflée et défis environnementaux. Par ailleurs, les jeunes de 18 à 35 ans sont confrontés à un taux de chômage bien plus élevé que celui de leurs aînés : en 2024, le taux de chômage des jeunes adultes en France était de 20 %, contre 9 % pour les 35-50 ans et 5,5 % pour les plus de 50 ans, selon l’INSEE.
Un fossé grandissant entre générations semble se creuser, alimenté par la perception que les baby-boomers, qui ont connu une certaine prospérité économique à une époque de gains de productivité et de niveaux de vie en forte hausse, pourraient peser trop lourdement par leur nombre sur les frêles épaules des générations suivantes.
Le financement des retraites, de la santé et de la prise en charge des personnes dépendantes s’imposent comme des défis majeurs. Le système de retraite par répartition repose sur un équilibre fragile : alors que le nombre de retraités augmente fortement, le nombre d’actifs cotisants diminue relativement. En 1970, on comptait 3 cotisants pour 1 retraité ; aujourd’hui, ce ratio est tombé à environ 1,7 pour 1 et devrait continuer à se dégrader dans les décennies à venir (Conseil d’orientation des retraites, 2023). Pour assurer la pérennité du modèle, plusieurs solutions sont envisagées, notamment un allongement de la durée de travail.
Pourtant, cette perspective se heurte aux aspirations – qui sont à bien des égards devenues des illusions – des jeunes générations qui rêvent d’une retraite plus précoce – tout en percevant le travail comme moins sécurisant et épanouissant qu’auparavant (Baromètre Landoy de la France qui vieillit, 2024). Dans le même temps, les dépenses publiques liées au vieillissement (santé, dépendance, hébergement) devraient représenter 15 % du PIB d’ici 2050, contre 12 % aujourd’hui (Cour des comptes, 2024). Comment concilier ces défis économiques et sociaux tout en préservant la solidarité intergénérationnelle ?
Quelle société pour cette longévité ?
Le vieillissement de la population nous confronte à un double défi : préserver notre modèle de solidarité, tout en finançant la longévité et en garantissant un niveau de vie digne à tous les âges.
La longévité ne doit pas se résumer à une simple addition d’années. Elle doit s’accompagner d’une réflexion sur un modèle de société où chaque génération trouve sa place, quel que soit son âge. Ces années de vie supplémentaires peuvent être une chance de repenser notre organisation sociale, économique et professionnelle, mais elles ne doivent pas devenir un privilège pour certains payé chèrement par tous les autres. Si le monde dont nous héritons est façonné par ceux qui nous ont précédés, il nous revient de savoir comment le remodeler pour les jeunes générations et toutes celles à venir.
