Par Erell Thevenon-Poullennec,
Experte associée du Club Landoy,
Déléguée générale de l’Institut pour l’innovation économique et sociale – 2IES.
Reporter l’âge de la retraite est une ambition qui déchaîne les passions.
Dans le contexte de tensions internationales terriblement préoccupant que nous connaissons aujourd’hui, cette émotivité pose question car, quelles que soient les options retenues, nous devons retrousser nos manches et trouver des nouvelles sources de financements. En un mot… travailler plus longtemps.
Douce France
Cette crispation sur la question de la retraite est difficilement compréhensible d’un point de vue étranger où l’âge de départ est souvent plus élevé, allant parfois jusqu’à 65 voire 70 ans. Elle s’explique notamment par la place prépondérante qu’occupe l’État en France. La marche semble bien haute et douloureuse à franchir pour une population habituée à un État providence généreux, toujours prêt à répondre à ses besoins.
Comment s’étonner que nombre de Français perçoivent l’obligation de travailler plus longtemps comme une mauvaise nouvelle ? Peu importe que l’espérance de vie augmente par ailleurs, on vient là supprimer un prétendu « droit acquis » et les priver d’une, deux, trois années de liberté dûment méritée (faire ce qu’on a envie de faire pendant qu’on peut encore le faire après une vie de labeur).
Les arguments financiers et économiques les plus rationnels viennent se briser contre ce mur culturel et psychologique. Un mur notamment fait du béton armé de la promesse mitterrandienne de 1981 de l’avènement d’une société de loisirs, concrétisée par l’abaissement de l’âge légal de départ à 60 ans. Pouvoirs publics, travailleurs et entreprises y ont trouvé leur compte et ont développé des politiques et des comportements pour optimiser cette longue tranche de vie. La suite est connue. Il faut aujourd’hui inverser la vapeur. Ces mêmes acteurs doivent s’ajuster. Si tous ont une responsabilité dans l’élaboration d’un nouveau compromis, ils n’avancent pas au même rythme.
Les entreprises face à l’allongement de la durée de vie au travail : du choc à l’engagement
La suppression des dispositifs de préretraites fut un choc pour les entreprises qui s’en accommodaient fort bien. Passé la phase de déni, laquelle s’est traduite par des négociations intensives avec les pouvoirs publics pour tenter de maintenir ces outils, elles ont fini par se résigner et mettre en place des mesures plus ou moins convaincantes en direction des seniors (lutte contre les discriminations, mentorat et autres dispositifs de transmission des compétences, etc.).
Elles sont à présent entrées dans la phase ascendante de la courbe : celle de la remobilisation et de l’action. Il en va de la transformation des organisations comme du deuil : la dynamique constructive s’amorce lorsqu’on découvre le sens des changements attendus. Or, aujourd’hui, les entreprises ont bien compris que maintenir des seniors en emploi plus longtemps servait leurs intérêts directs (notamment au regard de leurs besoins de main d’œuvre ou de compétences) et indirects (un système de protection sociale déséquilibré obère la compétitivité des acteurs économiques et entrave leur développement). Finalement, les vieux sont précieux !
La Charte 50+ et l’Index pour accélérer le changement
C’est à ce stade précisément que la Charte 50+, ou Acte d’engagement pour les collaboratrices et collaborateurs de plus de 50 ans, entre en scène. Cette initiative du Club Landoy matérialise la prise de conscience des entreprises de la nécessité d’allonger la vie au travail et de modifier les imaginaires.
La hausse du nombre d’entreprises et de structures qui se sont ralliées à cette initiative (32 en 2022, 14 en 2023 et 89 en 2024), la diversité des signataires (des TPE aux multinationales tous statuts et secteurs confondus, en passant par des institutions publiques, des associations, des organismes de formation, des médias, des start-up, des scale-up…), ainsi que l’implication forte de grandes entreprises, notamment par la voix de leur président, témoignent de la puissance de cette dynamique.
La participation active et résolue des entreprises, encouragée par des politiques publiques, est déterminante car l’évolution du comportement des travailleurs dépend notamment de leurs décisions. Les raisons pour lesquelles les seniors peinent à prolonger leur activité professionnelle sont documentées : exclusion anticipée du marché du travail et réintégration aléatoire du fait de leur âge, conditions de travail objectivement difficiles dans nombre de métiers, perte de sens du travail (qui, au demeurant, touche toutes les tranches d’âge), péremption des compétences, manque de confiance dans l’avenir (un « tiens » vaut mieux que deux « tu l’auras »)…
Sur chacun de ces points, la Charte 50+ invite les entreprises signataires à déployer des actions concrètes. Cette palette d’engagements clefs constitue un socle solide sur lequel chacune pourra façonner ses politiques sociales et appréhender des réalités humaines et économiques complexes.
Pour faire obstacle à tout risque de « seniorwashing », la Charte 50+ est assortie d’un Index novateur : la première compilation volontaire (et anonymisée) d’indicateurs de l’emploi des + 50 ans. Ainsi, en s’engageant dans cette démarche, les entreprises acceptent de mesurer leurs efforts, d’analyser leurs résultats et d’adapter ou de compléter leurs politiques sociales en conséquence. Le partage de bonnes pratiques vient nourrir la réflexion et renforcer la qualité des mesures.
En avant !
Les premiers résultats montrent d’ailleurs que le recrutement reste un défi.
Les indicateurs partagés par les entreprises nous montrent que les 50+ ne représentent qu’un recrutement sur 10. Ce faible taux mérite d’être analysé : à qui la faute ? Aux seniors qui ne chercheraient pas à rester dans le marché du travail, sensibles à l’appel de la canne à pêche ou absorbés par des contraintes familiales ou de santé ? Aux entreprises qui hésiteraient encore à recruter des seniors, prisonnières de vieux réflexes ?
Cette question mérite d’être davantage explorée car le recrutement des seniors est un indicateur significatif : la bataille sera gagnée quand plus aucun senior ne se trouvera exclu du marché malgré lui. Il reste du chemin à parcourir. Le Club Landoy y travaille.