Pour permettre aux jeunes d’accéder au marché du travail malgré la crise du Covid-19, il sera sans doute nécessaire de recourir aux préretraites, estime François-Xavier Albouy. Mais il faudra aussi inciter les seniors à s’engager dans des activités socialisées, pour reculer les signes du vieillissement et contribuer à la société.
Les salariés seniors seront-ils sacrifiés sur l’autel de la crise économique post-Covid ?
François-Xavier Albouy : Il ne s’agit pas de sacrifier les seniors mais de répondre à un problème conjoncturel : la crise du Covid-19 va déboucher sur un choc social avec 200 000 à 1 million de chômeurs supplémentaires au printemps 2021. Dans ce contexte, la priorité absolue est de laisser les jeunes accéder au marché du travail alors que notre taux de chômage des jeunes est déjà l’un des plus élevés d’Europe.
Il est en effet scientifiquement prouvé que les jeunes commençant à travailler en pleine crise voient leur carrière prendre un retard de plus de 10 ans. Un retard qu’ils ne parviendront jamais à combler. Dans ce contexte, il peut être intéressant d’accélérer le départ des seniors et de relancer les dispositifs de préretraites.
N’est-ce pas paradoxal après 20 ans d’efforts pour faire reculer l’âge de départ à la retraite ?
F-X A : Le marché du travail est contraint : reculer l’âge officiel de départ à la retraite pour mettre les seniors au chômage ou en invalidité n’a aucun sens. Les entreprises ont tout intérêt à faire partir les seniors pour les remplacer par des jeunes qui coûtent moins cher et sont plus adaptables. Faisons-en sorte que cela se fasse dans de bonnes conditions.
Au risque de susciter un conflit de générations ?
F-X A : Il peut effectivement y avoir des tensions entre générations. Mais pas de véritable conflit, car au sein des familles, la solidarité intergénérationnelle reste très forte. Certains salariés seniors aident leurs parents dépendants alors qu’ils ont encore des enfants à charge : ils portent deux générations ! Il faudra être très attentif à leur situation, leur permettre de partir en préretraite dans des conditions acceptables tout en veillant à ne pas les exclure de la vie active.
Vie active et retraite ne sont plus antinomiques ?
F-X A : Avec l’allongement de l’espérance de vie, les seniors vont passer un tiers de leur existence à la retraite : peut-on accepter que ce soit une vie vide, sans activités ni projets ? L’hédonisme des premiers mois de retraite laisse souvent place au vide, à l’ennui et à la dépression.
L’expérience montre que les activités socialisées retardent la survenue du vieillissement. Or, la société a plus que jamais besoin d’engagement. Il faut donc inciter les retraités à garder des activités, professionnelles (en cumul emploi-retraite à temps partiel ou sous forme de microentreprise) ou bénévoles.
Les retraités ne s’engagent pas spontanément ?
F-X A : S’ils ne s’y sont pas préparés ou s’ils ont quitté la vie active dans de mauvaises conditions, ils ont plutôt tendance à se replier sur eux-mêmes. Il est parfois nécessaire de susciter l’engagement : pourquoi ne pas créer un service civique ou un programme Erasmus destinés aux seniors ? Cela les aiderait à se projeter dans de nouvelles activités en identifiant leurs envies et leurs compétences.
Le projet de réforme des retraites doit-il être abandonné ?
F-X A : La question du recul de l’âge de départ à la retraite va se poser : les cotisations ne peuvent plus augmenter et une baisse des pensions me semble difficilement acceptable. Mais le système peut être envisagé à un autre niveau : en Europe, la population active se contracte et l’épargne des ménages n’a jamais été aussi importante. Il serait intéressant d’instaurer des systèmes d’épargne retraite surcomplémentaire à l’échelle européenne. Cela financerait les entreprises tout en créant un nouveau sentiment d’appartenance à l’Europe.
François-Xavier Albouy est économiste, directeur de recherche de la chaire Transitions économiques, transitions démographiques