Analyse

Vivre plus longtemps, d’accord, mais sans travailler plus : comment interpréter les aspirations paradoxales des 18-24 ans ?

Publié le : 03/12/2024

Le Baromètre Landoy 2024 de la France qui vieillit, présenté le 18 novembre dernier à la Caisse des Dépôts, soulève un paradoxe frappant : si les jeunes générations considèrent l’allongement de la vie comme une bonne nouvelle, elles n’envisagent pas d’allouer ce temps supplémentaire au travail. Les 18-24 ans rêvent même d’une retraite dès 51 ans en moyenne, un âge qui semble bien éloigné des efforts nécessaires pour assurer le financement de notre modèle social. 

Comment expliquer ce décalage entre attentes et réalité ?

Un marché du travail en tension

L’entrée sur le marché du travail des jeunes actifs nés entre 1995 et 2000 s’est déroulée dans un contexte de transformations profondes : transition numérique, crise écologique, et pandémie de COVID-19… Cette dernière a redéfini la dynamique du marché, amplifiant les tensions existantes. Avant 2020, 4 métiers sur 10 étaient classés comme « en tension », avec une offre d’emploi supérieure à la demande. Aujourd’hui, ce chiffre est passé à 6 sur 10, touchant particulièrement l’industrie, les soins de santé et les métiers techniques (rapport France Travail, 2023). En outre, 61 % des recrutements en 2023 sont jugés “difficiles”, un chiffre en hausse par rapport à l’année précédente (+ 3 points). Ces tensions exacerbées soulèvent des interrogations sur la capacité des entreprises à attirer et fidéliser des talents dans un environnement en constante évolution.

La transition démographique contribue également à ce déséquilibre : l’augmentation du nombre de retraités et la diminution de la population active attendue dans les 10 prochaines années appellent à un allongement des carrières pour maintenir le modèle social actuel, fondé sur la solidarité entre les générations.

Travailler plus longtemps, oui, mais à quel prix ?

Si les jeunes générations aspirent à quitter la vie professionnelle plus tôt que la moyenne, c’est en partie parce qu’elles estiment que le travail ne garantit plus la sécurité et la reconnaissance d’autrefois. La précarité de l’emploi a doublé depuis les années 1980. En 2023, 16 % des salariés en France occupent un poste précaire (intérim, CDD, apprentissage), un taux deux fois supérieur à celui des années 1980.  

Pour les jeunes, la situation est encore plus critique. En 1982, 19 % des moins de 25 ans étaient en situation précaire. Cette année, il a atteint 56 %, selon une étude récente de l’Observatoire des Inégalités. Ce triplement de la précarité chez les jeunes actifs a largement modifié leur perception du monde professionnel. Enfin, c’est un fait incontournable que le travail paie moins qu’avant. Comme le souligne Antoine Foucher, spécialiste des questions sociales, les générations actuelles d’actifs sont les premières depuis 1945 à ne pas pouvoir vivre mieux grâce au fruit de leur activité économique. Pendant les Trente Glorieuses, on pouvait doubler son niveau de vie en 15 ans de travail. Désormais, avec le ralentissement de la croissance et l’évaporation de la productivité, il faudrait travailler 84 ans pour vivre deux fois mieux. Tous ces éléments contribuent à expliquer pourquoi le travail n’occupe plus une place aussi centrale chez les jeunes.

Gen-Z au travail : quelles stratégies ?

Face à ces enjeux, les nouveaux arrivants sur le marché du travail ont développé plusieurs stratégies. Les jeunes s’efforcent d’épargner davantage : 78 % des jeunes actifs déclarent mettre de l’argent de côté chaque mois, un taux deux fois plus élevé que la moyenne nationale (35 %). (sondage Ifop). Les Français de moins de 35 ans n’ont jamais été aussi actifs dans l’investissement. Le PER connaît un essor croissant chez les 25-34 ans – devant l’assurance vie -, avec 20 % de cette tranche d’âge ayant investi dans un produit d’épargne retraite, contre 18 % des non-retraité (le cercle de l’épargne, les jeunes et la retraite). Le baromètre Landoy 2024 révèle que 30 % des moins de 35 ans envisagent de souscrire à une assurance vie (contre 15 % des 35-49 ans) en vue de la préparation à la retraite.

Cette appétence pour les produits financiers est aussi visible sur les réseaux sociaux. Sur TikTok – réseau social favori pour 78 % des moins de 25 ans –, des hashtags comme #FinTok ou #libertéfinancière réunissent des milliards de vues, preuve d’un véritable engouement pour ces sujets. En France, le hashtag « liberté financière » cumule 257,7 millions de vidéos, et celui de « investisseur » près de 245,5 millions.

Quant à leur vision du travail, les jeunes se détournent de plus en plus du modèle traditionnel de la carrière linéaire et ascendante, au profit de parcours davantage diversifiés. En effet 44 % des jeunes actifs ne souhaitent pas exercer le même métier toute leur vie, et seulement 26 % se projettent dans une carrière stable. Ils privilégient davantage la flexibilité et la diversification des parcours professionnels. (Génération Z : des Z consommateurs aux Z collaborateurs)

Repenser le rapport au travail

Si les jeunes semblent réticents à l’idée de travailler plus longtemps, cela n’est pas forcément un signe de rejet du travail en lui-même, mais plutôt une réaction face à la précarisation croissante de celui-ci. Contrairement à certaines idées reçues, l’intérêt pour le travail ne semble pas avoir diminué au fil des générations : 47 % des jeunes actifs accordent autant d’importance à leur travail que les 30-45 ans (42 %). Plus encore, la volonté d’un nombre important d’actifs d’accorder valeurs personnelles et vie professionnelle démontre bien la place importante qu’occupe cette dernière. (Apec, février 2024)

Les jeunes générations semblent plutôt engager une réflexion plus large sur le modèle de travail actuel. Dans un contexte où certains secteurs peinent à recruter, de plus en plus de jeunes – et de moins jeunes – peuvent se sentir incertains face à l’avenir et privilégient des stratégies qu’ils jugent plus sûres avant leur départ à la retraite. Face à ces enjeux, ce ne sont pas uniquement les pouvoirs publics qui ont un rôle à jouer : les entreprises doivent prendre part à cette transformation. En particulier, l’éducation financière apparaît comme un levier important pour sensibiliser les salariés. Selon notre dernier Baromètre de la France qui vieillit, réalisé avec l’Ifop, 66 % des Français seraient intéressés par des ateliers de préparation à la retraite. Ces chiffres soulignent l’importance de renforcer l’accompagnement des salariés, d’autant plus que 77 % d’entre eux estiment manquer d’outils pour épargner et investir (Baromètre ViveS Media – Ifop 2024). Dans ce contexte, offrir une meilleure compréhension des différentes options financières pourrait faire une réelle différence.

Rechercher sur le site